Si certaines personnes vivant avec un handicap pleurent sur leur sort et s’adonnent à la mendicité, d’autres se battent au quotidien pour vivre dignement. A Nouna, elles sont nombreuses ces personnes combatives qui ont su surmonter leur handicap d’une manière ou d’une autre. Nous avons rencontré certaines d’entre elles en vue de partager leur parcours avec vous.
Le handicap designe toute déficience physique ou mentale. C’est la limitation des possibilités d’interaction d’un individu avec son environnement, menant à des difficultés psychologiques, intellectuelles, sociales ou physiques. Qu’il soit de type moteur, psychique, mental ou sensoriel, le handicap peut être congénital ou acquis. Malheureusement, la perception socio-culturelle du handicap dans notre pays n’a pas toujours été favorable à l’intégration sociale et à l’épanouissement des personnes handicapées. Elles étaient jadis victimes de plusieurs préjugés. En effet, certaines communautés considéraient les personnes nées avec un handicap comme une honte ou un porte-malheur. Ainsi, certaines familles les cachaient au regard de l’entourage. Abandon, maltraitance et négligence étaient le sort qui leur était réservé. Des enfants nés avec une quelconque malformation étaient victimes d’infanticide dans certaines contrées. Dans d’autres zones, ils étaient laissés à eux-mêmes sans une véritable assistance. Ils n’avaient également pas la chance d’aller à l’école.
Mais de nos jours, la situation des personnes vivant avec un handicap a beaucoup évolué. L’Etat burkinabè à l’instar des autres pays, s’est engagé dans la promotion de leurs droits. Plusieurs textes et lois à l’échelle nationale et internationale ont été adoptés et d’énormes actions sont en train d’être faites pour garantir leur épanouissement à tous les niveaux de la vie. Le système éducatif tient de plus en plus compte de leur formation et leur insertion socioprofessionnelle. Il semble révolu le temps où elles devraient rester à la maison pour être totalement prises en charge, où plusieurs d’entre elles se contenaient de mendier pour vivre.
Les multiples efforts semblent ainsi porter fruit car, dans nos villes, les exemples sont de plus en plus légion où des personnes vivant avec un handicap exercent des métiers pour s’auto-prendre en charge. L’on les retrouve dans presque tous les secteurs d’activité et parfois, elles brillent par leur capacité à s’adapter et à faire un excellent travail. Souvent, elles produisent même plus de résultats au travail que des personnes dites normales. C’est à croire que le handicap n’est pas en soi une fatalité. Il y a seulement que les facteurs environnementaux peuvent constituer un obstacle ou un facilitateur pour la participation effective à la vie sociale des personnes vivant avec un handicap. D’ailleurs, << Une personne ayant une déficience n’est pas nécessairement en situation de handicap. Inversement, une personne sans déficience peut se retrouver momentanément en situation de handicap >>, peut-on lire dans un manuel de formation en éducation inclusive des acteurs de l’éducation. Voici quelques cas de personnes vivant avec un handicap à Nouna qui arrivent tant bien que mal à ne pas se faire handicaper par leur handicap.
Un malvoyant qui impressionne par son courage
Benjamin Wanré est un jeune homme très populaire à Nouna. Sa réputation est due à sa vivacité malgré la cécité dont il a été victime dès l’âge de 8 ans. Ayant perdu tout espoir de retrouver la vue, il ne s’est pourtant pas laissé abattre par son sort. Seul espoir de sa mère, il se débrouille comme il peut pour mettre sa famille à l’abri du besoin.
« La nature a horreur du vide », dit-on. C’est en tout cas ce qu’on peut dire à propos de Benjamin Wanré. Atteint de maux d’yeux dès l’âge de trois ans selon les témoignages de sa mère, c’est à huit ans qu’il perd totalement l’usage de ses yeux. « A l’époque, la médecine n’était pas aussi accessible comme de nos jours. Il n’a donc pas bénéficié de soins appropriés au début. Jusqu’à huit ans, il pouvait encore voir la lumière. Mais son mal s’est aggravé et nous n’avons pu rien faire pour sauver ses yeux, » nous confie-t-elle. Unique enfant de sa mère et ayant perdu son père très tôt, Benjamin a vite compris la responsabilité qui l’attendait : pourvoir à ses propres besoins et à ceux de sa mère.
A cause de son handicap, Benjamin n’a pas eu la chance de connaître les chemins de l’école. Mais malgré ce sort, il ne s’est jamais avoué vaincu. Pour ce faire, il mène diverses activités.
Muni d’une barrique ( pousse pousse ), il ravitaille plusieurs familles en eau au prix de 300 francs la barrique. Lorsque nous avons voulu comprendre comment il se déplace du puits aux domiciles de ses clients, Benjamin nous explique : « Sur la route, je suis très attentif. Je me guide en fonction des bruits. Ainsi, je peux servir tous mes clients de mon quartier tout seul. Mais pour les autres quartiers, je me fais accompagner par un ami ». Idani Fatoumata, est l’une de ses clientes. « Benjamin me ravitaille en eau depuis plus de sept ans et je suis satisfaite de son service. C’est incroyable de le voir en action, on ne peut pas croire qu’il ne voit pas », nous relate-t-elle.
En plus de la vente d’eau, Benjamin file décortiquer des arachides chez qui lui offre le service moyennant de petites sommes. Sa qualification dans ce travail lui a même valu le surnom de « meilleur », pour signifier qu’il en a le monopole. Pour lui, tant que c’est possible, une personne doit tout faire pour se nourrir à la sueur de son front. « Je ne veux tout simplement pas mendier », affirme-t-il avant d’ajouter : « Dans le temps, je souffrais de mon handicap et je passais mes jours caché au fond de la maison. Mais, j’ai pu surmonter ce complexe et sans aucune honte, je travaille pour vivre dignement ». Plus étonnant, Benjamin peut composer les numéros de téléphone sans aucune aide, certainement grâce à l’habitude. D’ailleurs ne dit-on pas que lorsqu’un sens fait défaut, un autre se développe ?
Au regard de ses multiples efforts, ce brave jeune assure tant bien que mal le minimum vital en famille. Pour se garantir un avenir, il nous livre son projet en ces termes : « Je veux arrêter la vente d’eau car ça me fatigue beaucoup et je n’y gagne pas grand-chose. J’ambitionne depuis quelques années d’investir dans l’élevage des ovins mais les moyens me font défaut pour l’instant ».
Achille Dembélé, jeune mécanicien très dynamique
Achille Dembélé est né en 1999 avec des malformations au niveau des deux pieds. Il a arrêté les études en 2007 après l’obtention du certificat d’études primaires ( CEP ). Selon lui, c’est à cause de son handicap que ses parents ont négligé sa scolarité. En 2009, il s’inscrit alors lui même au Centre d’apprentissage et de promotion artisanale ( CAPA). Il y apprend la mécanique vélo et moto durant deux ans. De là, il effectue un stage pratique de dix ans, soit six en mécanique vélo et quatre en mécanique moto.
<< C’est après toutes ces années d’apprentissage que je me suis senti assez qualifié pour ouvrir mon propre atelier de réparation de vélo. J’ai postulé à une offre de crédit du ministère de la jeunesse. C’est avec cet argent que j’ai acheté le matériel pour m’installer en janvier 2019. J’ai même déjà fini de soldé ce prêt >>, nous confie-t-il. << Grâce à ce travail, j’arrive à prendre en charge mes propres dépenses. Le plus important pour moi, c’est que je suis à l’abri de la mendicité parce que j’ai horreur d’être un fardeau pour les autres >>, a-t-il ajouté.
Adjara Traoré, une élève déterminée
Agée de 19 ans, Adjara Traoré est née handicapée. Elle n’a donc jamais goûté au bonheur de jouir de l’usage des membres inférieurs. Malgré cette adversité naturelle, elle se bat dans la mesure du possible, dans l’espoir d’un avenir radieux. Elle est en classe de 4e au Lycée privé Horoya de Nouna et son parcours scolaire est jusque là acceptable et aurait été parfait si…
A l’aide de son vélo adapté, Adjara est obligée de prendre très tôt le chemin de l’école. Chaque jour d’école, elle est debout dès 4 heures du matin. Lorsqu’elle a cours le soir, elle doit revenir manger à la maison et retourner. Son domicile est pourtant distant de l’établissement d’environ trois kilomètres. Ces aller-retour ne constituent pas le seul problème de Adjara. Son vélo est aussi en mauvais état. << Elle souffre beaucoup. Quand je pense à ses efforts, j’ai à la fois des sentiments de fierté et de pitié à son égard. Souvent, elle est tentée par le découragement jusqu’au point de vouloir abandonner l’école. Mais dès que je lui prodigue des conseils, elle reprend courage >>, nous confie Yacouba Traoré, frère et tuteur d’Adjara. Ce dernier a poursuivi en ces termes : << A son enfance, notre père a presque tout perdu en tentant de soigner son mal. Mais peine perdue >>.
Pour faciliter ses aller-retour de la maison à l’école, Adjara souhaite recevoir un nouveau vélo. Son frère, lui, pense qu’une moto adaptée serait encore mieux. Mais sur la question, Adjara a évoqué la difficulté de garantir les dépenses pour le carburant. << Si on lave ton dos, il faut te débrouiller pour laver ton ventre. Si une bonne volonté lui offre une moto, je me battrais pour qu’elle ne manque pas de carburant. Au cas échéant, elle utilisera son vélo les jours que je ne pourrai pas lui acheter de l’essence >>, a rétorqué le frère.
Dans tous les cas, Adjara Traoré aimerait faire de longues études. Elle rêve de devenir médecin afin de contribuer à soulager ceux qui souffrent d’une quelconque maladie. << Ma situation est difficile mais il vaut mieux que je souffre pour mon avenir que de rester assise à ne rien faire >>, a-t-elle dit au terme de notre entretien.
Rasmané Ouedraogo, un jeune commerçant débordant d’énergie
Il est né en 2002 à Dedougou avec une malformation au niveau des pieds. Il tient difficilement debout. Mais le jeune homme se bat pour gagner honorablement son pain quotidien. Il est marchand ambulant. Rasmané Ouedraogo a dû arrêter l’école en classe de troisième en 2018. Il rejoint alors une société de commerce et y travaille 1 an durant. Là, il acquiert les stratégies de base. En 2020, il quitte la société et commence son propre business. Ainsi, chaque jour, il se promène dans toute la ville de Nouna à la recherche de la clientèle. Il vend des produits cosmétiques dont des parfums, des pommades, des pâtes dentifrices et des produits chinois.
En ce qui concerne son handicap, il nous confie être né ainsi. Il ne pense pas avoir bénéficié de soin de son enfance à nos jours. << Des gens m’ont dit qu’on peut me soigner. Mais comme je n’ai pas les moyens, je n’ai pas tenté >>, explique-t-il.
Dans le cadre de l’exercice de son métier, Rasmané souffre énormément à cause des déplacements. Il souhaite alors bénéficier de soutien pour ouvrir un magasin. En attendant, il prend plaisir à vendre ses articles et bénéficient régulièrement des encouragements de ses clients. << C’est la vie. Je pense qu’il faut accepter son sort afin qu’il ne soit pas une barrière. En menant cette activité, au moins je suis épargné de la mendicité >>, telle est sa philosophie.
Nathalie Coulibaly : << Le handicap n’est pas un prétexte pour ne rien faire >>
Née en 1982 à Sanaba dans la province des Banwa, Nathalie Coulibaly a arrêté les études en classe de CM2. La raison de cet abandon scolaire serait due à sa situation de handicap. En effet, Nathalie souffre d’une déficience au niveau d’une jambe. Ce qui l’oblige à se servir d’une béquille pour pouvoir effectuer ses mouvements. Quelques années après avoir quitté les bancs, Nathalie s’est inscrite au Centre d’apprentissage professionnel et artisanal ( CAPA) de Nouna en 2006. Elle y apprend la coupe couture durant deux ans. En 2008, elle est admise au Certificat de qualification professionnelle (CQP). Elle se rend alors à Ouagadougou pour renforcer ses capacités. De retour à Nouna, elle offre ses services à la direction provinciale de l’action sociale en tant que formatrice des jeunes en couture durant quatre ans. Ayant bénéficié d’une aide financière de 200 000 francs de la part d’un projet de la place, Nathalie loue un magasin en 2019 pour en faire un atelier de couture. Son travail est plus axé sur la confection des tenues d’enfants. Quatre personnes apprennent le métier avec elle.
Pour Nathalie, la situation de handicap n’est pas un prétexte valable pour ne ne rien faire. << Selon moi, le handicap, c’est dans la tête. En tout cas moi ma situation ne m’empêche pas de me battre pour vivre dignement. Ainsi, j’ai un champ que je cultive moi-même en plus de la couture. Je fais également moi-même mes activités ménagères >>, nous a-t-elle confié. Nathalie reconnaît cependant que vivre avec un handicap est souvent source de discrimination. << La stigmatisation se fait sentir dès la cellule familiale où les parents accordent plus d’importance aux enfants dits normaux. Ceux vivant avec un handicap sont considérés comme une honte pour la famille et traités comme telle. Moi particulièrement, c’est ma grand-mère qui a dû me récupérer pour prendre soin de moi >>, a-t-elle ajouté. Pour elle, l’affection parentale est nécessaire pour tout enfant et peut contribuer à donner confiance à ceux vivant avec un handicap afin qu’ils puissent vaincre leur situation.
Abdoul Salam Dissa, la référence en matière d’électricité moto à Nouna
Abdoul Salam Dissa est né en 1973 dans le Sourou. C’est à l’âge de deux ans qu’il a été victime de la poliomyélite. Il sortira de cette maladie avec les deux membres inférieurs paralysés. Il rejoint Nouna en 1992 à la faveur de l’affectation de son père. Il était alors en classe de troisième. Il fréquente le Lycée provincial de Nouna et y obtient son BEPC. Pour la seconde, il doit se rendre à Dédougou. Mais des contraintes liées à son handicap l’obligent à y renoncer. Il rejoint ainsi un garage de la place. Il y apprend la réparation de téléviseurs et de radios ainsi que l’électricité moto durant 15 ans.
En 2001, Abdoul Salam Dissa ouvre son propre atelier. Il privilégie l’électricité moto. De nos jours, il est réputé à Nouna pour l’excellence au travail. Son atelier compte présentement trois employés qu’il a formés lui-même et deux apprenants. << Le handicap n’est pas une barrière car on peut le dominer >>, a-t-il dit avant d’ajouter : << Pour arriver à surmonter le handicap, l’entourage joue un grand rôle. Une personne vivant avec un handicap qui bénéficie du soutien de ses proches devient libre et entreprenant. J’invite ainsi toutes les populations à nous accompagner dans nos efforts >>.
Issa Mada Dama